La Résidence de France à Bucarest

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Dix ans seulement après son établissement auprès du jeune État roumain, la légation de France s’installait dans un bâtiment neuf, construit spécialement pour elle à Bucarest. Pour conserver sa place de puissance européenne, la France donnait du lustre à sa représentation et l’hôtel particulier de la rue Biserica Amzei en serait désormais la scène.

Au bal d’inauguration organisé en 1892 par Gustave de Coutouly (1838-1912), ministre de France et artisan de cette réussite, le prince héritier Ferdinand et la princesse Marie étaient les invités d’honneur. Sous le porche qui rivalisait avec celui du Théâtre national de Bucarest passaient les élégants équipages dont l’éclat bucarestois était connu des étrangers. « Bucarest est l’une des villes d’Europe où le luxe se déploie avec le plus d’intensité, où la vie mondaine est des plus animées ». Dans un pays qui quittait la tutelle de l’Orient pour se tourner résolument vers l’Occident, la question du décor de la légation était essentielle. En traversant par les pièces de réception, les visiteurs découvraient plusieurs salons, un salon-bibliothèque et une salle de bal. Sous la grande ouverture centrale inondant de lumière l’intérieur de l’hôtel, des hommes et des femmes, élégants, vêtus à la dernière mode de Paris, défilaient vers le jardin. Ce jour de fête, dont la résidence de France fut le témoin, brille encore dans la longue construction des relations diplomatiques franco-roumaines.

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Bogdan Andrei FEZI

Bogdan Andrei Fezi est architecte, titulaire d’ un doctorat en architecture et urbanisme de l’Université Paris 8, après un DEA à l’ École d’ architecture de Paris-Belleville. Ancien chercheur au laboratoire IPRAUS du CNRS et directeur de recherche à l’UAUIM, à Bucarest, où il enseigne actuellement. Il réalise des projets d’ architecture en France et en Roumanie en collaboration ou en association avec Architecture, Paris, et reçoit des prix internationaux.

Principales publications : "De la systématisation de Bucarest à la destruction des villages roumains", In Situ, 2013 ; "Bucarest, le petit Paris. Un siècle de voierie, réseaux, hydraulique, 1831-1939", Édifices & Artifice : Histoires constructives, Picard, 2010 ; Bucarest et l'influence française. Entre modèle et paradigme urbain. 1831-1921, L'Harmattan, 2005 ; "Bucarest, le petit Paris des Balkans. L'architecte roumain Duiliu Marcu, diplômé de l'École des beaux-arts de Paris", Livraisons de l'histoire de l'architecture, 2004.  

Jean-Marc IROLLO

Historien de l’ art, conférencier des musées nationaux, ancien chargé de travaux dirigés à l’ École du Louvre, Jean-Marc Irollo est actuellement directeur adjoint des ressources humaines au musée du Louvre. Il est chevalier des Arts et des Lettres depuis 2007.

Il est l’ auteur de nombreuses publications parmi lesquelles Mémoires en aquarelle : châteaux et jardins disparus des Hauts-de-Seine, une Histoire des Étrusques et plusieurs ouvrages sur la peinture française et italienne. Il a également écrit des articles pour les catalogues des expositions « Tamara de Lempicka », « Les enfants modèles », « Lipchtiz, les années françaises 1910-1940 » et « 1925 quand l’ Art Déco séduit le monde ». 
Il est aussi co-auteur de l'ouvrage Résidence de France à Bucarest et La résidence de France à Londres parus  aux Éditions internationales du Patrimoine.

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Fiche technique

Date de parution
décembre 2013
Langues
français - roumain
Nombre de pages
240
Nombre d'illustrations
120
Format
240 x 310 mm
Reliure
rigide et coffret illustré
ISBN
979-10-90756-06-9
Poids
2,45 Kg

Durant trois années, de 1933 à 1936, mon père a représenté la France à Bucarest. Entre Munich où l’arrivée au pouvoir du national-socialisme avait rendu l’atmosphère irrespirable et Rio de Janeiro où mon père, ardemment républicain, ardemment démocrate, ne tissa jamais des liens de confiance avec le dictateur Getulio Vargas, sa mission à Bucarest fut un havre de grâce et, je crois, le sommet de sa carrière. Ce furent, en tout cas, les trois années les plus heureuses de sa vie.

Nous sommes allés trois fois de France en Roumanie. La première année en train ; la seconde année en voiture ; la troisième par bateau en passant par Venise et en essuyant en mer Noire une tempête spectaculaire. Nous arrivions rue Bizerica Amsei.

Je revois la maison, le jardin, les quelques marches qui menaient de l’une à l’autre et où a été prise une photographie de mon père entre ses deux fils. Je me souviens aussi — existe-t-elle encore ? — d’une espèce de balustrade d’où mon frère et moi nous guettions les invités les soirs de grands dîners.

Entre l’Allemagne devenue nationale-socialiste et la Russie communiste, la situation n’était pas de tout repos. Très attaché à la paix, à la coopération internationale et à la Société des nations, très hostile à la « Garde de fer », mouvement d’extrême-droite dans la Roumanie de cette époque, mon père se lia assez vite et intimement avec Tataresco et avec Titulesco qui étaient à l’époque des personnages importants sur la scène politique roumaine et même internationale. Les Roumains étaient souvent francophones, ils étaient tous francophiles. À plusieurs reprises, mon père fut invité à assister au Conseil des ministres.

Les souvenirs se pressent dans ma mémoire. Quand il arrivait par hasard au Quai d’Orsay de confondre Bucarest et Budapest, mon père ne cachait pas son mécontentement. Je l’ ai vu, dans le salon de la rue Bizerica Amsei en proie à un chagrin qui touchait au désespoir : c’était le soir du 9 octobre 1934, jour de l’assassinat de Louis Barthou et du roi Alexandre de Yougoslavie à Marseille.

Mon père qui, en quasi janséniste, ne plaisantait pas avec les mœurs, aimait la compagnie des femmes. Deux femmes, très différentes l’une de l’ autre, mais également remarquables, ont joué un rôle dans sa vie : la princesse Bibesco et Hélène Vacaresco. Auteur de plusieurs livres qui ont connu leur heure de notoriété, la princesse Bibesco était très belle. Française de culture et de cœur, très brillante, Hélène Vacaresco, moins favorisée par la nature, avait invité mon père à prononcer avec elle une conférence à deux voix sur l’amour et l’amitié : « Vous parlerez de l’amitié comme Cicéron ; je parlerai de l’amour comme tout le monde. » Un jour où mon père avait refusé une invitation à dîner de la princesse Bibesco parce qu’il s’était déjà engagé ce soir-là avec Hélène Vacaresco, la princesse lui lança : « Faites très attention ! ne vous trompez pas : le devant c’est le côté où il y a la broche. »

Je ne tenais pas beaucoup à aller jouer au palais royal avec le fils du roi Carol. Je préférais rester rue Bizerica Amsei à écouter les histoires de mon père. Il me racontait, par exemple, qu’à une réception au palais, le roi avait déjà vu défiler une demi-douzaine de Ghika. Lorsqu’on lui présenta un septième membre de la famille, il aurait murmuré : « Si jeune, et déjà Ghika ! ... »

De temps en temps nous quittions Bucarest pour nous rendre à Mogoshaia, ou dans l’une des propriétés des Brancovan, ou à Sinaia pour skier sur d’invraisemblables skis en bois et à lanières, ou alors en Bukovine où les merveilleuses églises de Suceava, de Sucevitsa, de Voronets, restent gravées dans ma mémoire. Je me souviens d’un trajet en traîneau sur et sous la neige de l’hiver. Nous apercevions au loin des taches noires minuscules : c’étaient des loups. Peut-être pour m’amuser, on avait chargé à bord du traîneau quelques morceaux de viande : je les jetais négligemment par-dessus bord pour éloigner le fauves qui ne nous menaçaient guère.

Nommé ambassadeur au Brésil, mon père quitta Bucarest avec regret. Et avec inquiétude. Il se doutait bien que la « Petite Entente » — entre la Roumanie, la Yougoslavie et la Tchécoslovaquie — à laquelle il avait tant travaillé allait connaître des jours difficiles entre l’Allemagne de Hitler et la Russie de Staline. Il savait déjà, je crois — il nous en parlait avec angoisse —, qu’avec toute l’Europe et le monde entier, la Roumanie entrait dans les sombres années de la seconde avant-guerre.


Jean d'Ormesson
Académicien